Les Merinides (1258-1359)

Venant du Grand Sud, Berbères de la branche Zénète, les Beni Merine étaient originaires des hauts plateaux et des confins sahariens. A partir de 1216, profitant de l’affaiblissement du pouvoir almohade, ils pénètrent dans les régions situées au Sud du Rif et, poursuivant leur progression vers le centre du Maroc, ils exigent un tribut des sédentaires apeurés. Les villes de Taza et de Fès monnaient leur départ. Les ambitions des premiers Mérinides semblent alors se limiter à la domination des plaines riches et à « la récolte » de l’argent.

Les Almohades réagissant, en 1244, les merinides abandonnent rapidement les riches terroirs du Maroc central et regagnent le Sud pour peu de temps. A partir de l’année suivante, concients de l’affaiblissement croissant des Almohades, ils reprennent leur marche vers le nord, déclenchant ainsi un processus qui ne s’arrêtera qu’avec leur victoire obtenue grâce à l’alliance ou l’aide des autres tribus du groupe Zénète et celle des Sanhaja. Cette alliance et cette aide compensaient leur infériorité numérique. A leur tête se trouvait Abou Yahya Abou Bakr (1244-1258), premier grand émir mérinide. A partir de la même année (1244) la conquête mérinide systématique du Maroc est déjà bien entamée avec, pour nouvelle capitale, Fès. Les Almohades se trouvent alors isolés dans leur fief de Marrakech.

Abou Youssef Yacoub (1258-1286) : fondateur de la dynastie

A la mort de son frère Abou Yahya Abou Bakr en 1258, Abou Youssef Yacoub est considéré comme le premier souverain mérinide. Il acheva l’œuvre de son frère en supplantant définitivement les Almohades au Maroc, s’emparant de Marrakech en septembre 1269 pour ensuite se lancer dans une audacieuse politique espagnole en intervenant par quatre fois en Andalousie (en 1275/6, en 1277, en 1282/3 et en 1285) s’y épuisant sans que l’Islam réussisse à faire reculer le front de la Reconquête chrétienne. Plus grave encore, à sa mort en 1286, le Maroc se trouve désormais possesseur de villes espagnoles qu’il fallait défendre. Abou Youssef, à l’étroit dans sa capitale Fès, décide de créer une ville nouvelle afin d’y installer son administration, son Makhzen. Il fonde Fès Jdid en 1276 et commence la construction de medersas.

L’intervention mérinide en Espagne fut celle qui eut la plus grande signification. Le royaume nasride de Grenade, menacé par la reconquête chrétienne et surtout castillane, fit appel aux Mérinides. En 1286, Sanche IV, devenu roi de Castille, demande la paix, fait envoyer à Fès des exemplaires précieux du Coran et d’œuvres littéraires et s’engage à améliorer le sort des communautés musulmanes en terre chrétienne.

Abou Yacoub Youssef (1286-1307)

Fils et successeur du premier souverain mérinide, Abou Yacoub Youssef perdra la quasi-totalité des possessions marocaines en Espagne. Même sur la rive africaine du détroit, Ceuta tombera aux mains des troupes nasrides de Grenade. Au Maroc, il doit faire face à d’incessantes révoltes. La seule réussite ou victoire de son règne sera, à partir de 1300, la conquête d’Oran et de sa région, d’Alger et de ses environs ainsi que le massif de l’Ouarsenis. Avec l’assassinat du sultan en 1307 dans son palais de Mansoura et la levée du siège de Tlemcen, seule la capitale de la dynastie Abdalaouide échappera à la conquête mérinide. Le royaume de Tlemcen est cependant grandement affaibli.

Sur le plan religieux, Abou Yacoub Youssef introduit en 1292, la fête du « Mouloud » commémorant la naissance du Prophète. Heurtant de nombreux orthodoxes, la fête cependant ne s'instaurera que lentement. L’Ifriqiya, à qui Abou al-Hassan avait voulu l’imposer, ne l’adoptera qu’à la fin du XIVe siècle.

Abou Rabia (1308-1310)

Succédant au bref règne d’une année d’Abou Thabet, le frère de ce dernier, Abou Rabia accède au pouvoir en 1308. C’est sous son règne que la ville de Ceuta ainsi que deux ou trois villes en Espagne sont reprises ou réoccupées.

Abou Said Othman (1310-1331)

A la mort d’Abou Rabia en 1310, fils du fondateur de la dynastie Abou Youssef Yacoub et grand-oncle d’Abou Rabia, Abou Said Othman est proclamé sultan à Taza. Les incertitudes sont telles qu’il envoie son fils Abou al-Hassan à Fès afin d’y occuper le palais et de placer le trésor et les arsenaux sous son autorité. Il demande également au makhzen et à l’armée de lui prêter serment.

Il intervient en Espagne et réussit à sauver Grenade même si la Reconquête chrétienne tenait désormais toutes les côtes du détroit, en particulier, Gibraltar et Tarifa. Les Mérinides réussirent à reconquérir Algésiras en 1329 et à asseoir fermement leur domination sur Ceuta. Au Maghreb, Abou Said usa d’une politique d’alliances et de pactes d’amitié, maintenant presque toujours la paix avec Tlemcen et nouant des liens avec Tunis. Ceux-ci furent concrétisés par le mariage de son fils Abou al-Hassan avec la fille du roi hafside Abou Bakr.

Abou al-Hassan (1331-1351)

Abou al-Hassan, forte personnalité politique et religieuse, fut incontestablement le plus grand des souverains mérinides. C’est surtout dans le domaine de la civilisation et la réalisation de mosquées et de medersas que son œuvre gigantesque s’épanouit pleinement.
Abou al-Hassan laissa, après vingt ans de règne, un héritage architectural, religieux et culturel important, faisant presque oublier le bilan final désastreux de sa politique extérieure. Et pourtant, son règne fut tout d’abord une longue suite de victoires tant en Espagne qu’au Maghreb. En effet, en 1334, commença une campagne de trois ans au cours de laquelle Oujda et toute la région comprise entre cette ville et Alger incluse passèrent sous le contrôle d’Abou al-Hassan. Le 13 avril 1337, Tlemcen fut prise entraînant la disparition de l’Etat abdalaouide.

Suite à la mort de son beau-père, le sultan hafside Abou Bakr en 1346, Abou al-Hassan soumet tout le sud de la Tunisie et prend Tunis en 1347, faisant du Maroc la seule puissance du Maghreb. Il a refait l’unité de l’Afrique du Nord même s’il ne réussit pas à la conserver puisque la méthode administrative mérinide s’effondra très vite. La situation de la péninsule Ibérique est encore plus grave puisque dès 1344, l’Espagne mérinide disparaît complètement. En quelques mois, l’empire marocain s’écroula.

En 1350, après deux années de peste noire au Maghreb, Abou al-Hassan doit faire face à la révolte de son propre fils, le futur sultan Abou Inane à Tlemcen et celles de plusieurs tribus au Maroc. Après avoir été vaincu, Abou l’Hassan devient un fugitif poursuivi dans le Haut-Atlas par son fils. A sa mort en 1351, son fils rebelle l’inhuma dans la nécropole mérinide de Chellah à Rabat. Abou Inane honorait ainsi la dépouille de son père en la ramenant dans cette nécropole qu’Abou al-Hassan avait embellie d’une monumentale et magnifique enceinte.

Abou Inane (1351-1358)

Son règne montre mieux encore les difficultés, désormais insurmontables, rencontrées par les Mérinides. Il voulait cependant refaire la grandeur mérinide. Plusieurs de ses expéditions militaires furent couronées de succés lui permettant de reprendre Tlemcen, Constantine, Bône et même Tunis, villes qu’il conserva moins longtemps que son père, ne s’y maintenant que quelques semaines tout au plus. Avec l’assassinat d’Abou Inane, mort étranglé par un de ses vizirs en 1358, la décadence mérinide est amorcée.

La décadence mérinide et la régence des Beni Wattas

Pendant plus d’un siècle, jusqu’en 1465, l’anarchie la plus complète régna, engendrée par les intrigues de palais, par la déposition et l’assassinat de sultans. En effet, parmi les dix-sept sultans qui « succédèrent » à Abou Inane, sept furent assassinés et cinq déposés, le pouvoir étant véritablement entre les mains des vizirs. La dislocation territoriale, avec des régions entières se rendant quasiment indépendantes (dans le Souss, le Tafilalet, le Rif, …) et les invasions étrangères, contribuèrent également à la décadence mérinide.

L’émiettement territorial voit naître des fiefs, des royaumes indépendants dont les plus puissants furent ceux de Marrakech, s’appuyant sur l’Atlas, et du Tafilalet, autour de Sijilmassa, dominant le commerce saharien. Tous sont véritablement indépendants de ce qu’il faut nommer le royaume de Fès, siège des Mérinides, et non plus le Maroc. Partout au Maroc, la féodalité triomphe, accélérant la chute des Mérinides. La conquête par le Portugal au XVe siècle d’une large façade maritime au Maroc amorçait une résistance nationale et religieuse et contribuait à la décadence mérinide.

ŒUVRE MERINIDE

L’héritage mérinide s'avère monumental, réservant une place toute particulière aux édifices religieux. Les sultans de cette dynastie entreprirent la construction de nombreuses mosquées et medersas, cherchant par tous les moyens à se donner un rôle dans la propagation de l’Islam, se montrant les bienfaiteurs de l’Islam, espérant acquèrir par là une « légitimité islamique ». En effet, une de leur faiblesse politique fut qu’à la différence des Almoravides ou des Almohades ils n’étaient pas des réformateurs religieux. Ils n’avaient aucun prestige en ce domaine, car ils n’avaient pas une origine chérifienne. Désireux de donner à leur pouvoir une légitimité islamique qui compenserait leur absence de prestige religieux, les Mérinides réalisent un laborieux programme de fondations religieuses. La fondation de zaouias ou édifices religieux appartenant à une confrérie religieuse (comme Anemli à Taza ou al-Nossak à Salé), de nombreuses mosquées et oratoires de quartier et l’institution de medersas. Chella, nécropole des « combattants de la guerre sainte » affirme et glorifie la politique de « jihad » de la dynastie.

Le XIIIe siècle et la première moitié du XIVe siècle ont été l’âge classique d’un art hispano-maghrébin désormais implanté au Maroc, sur lequel s’exercent, en plus de la séduction andalouse, des influences orientales qui concrétisent les liens d’amitié d’abord entre les Hafsides d’Ifriqiya et les souverains mérinides, puis entre ces derniers et les sultans mamelouks du Caire. C’est à partir de ces bases que sont trouvés et fixés les thèmes et les formules qui seront transmis à l’art des siècles suivants. Comme leurs prédécesseurs almoravides et almohades, les grands souverains mérinides de cette époque ont donné au Maroc plusieurs de ses plus beaux monuments.

La dynastie mérinide a fait de Fès sa capitale pendant trois siècles. Abou Youssef Yacoub fonde en 1276, une ville nouvelle, Fès-Jdid, véritable cité administrative et militaire de la dynastie. Il fonde à Fès al-Bali en 1271, la première medersa, celle « des Dinandiers » ou Seffarin. Ses successeurs élèveront à Fès-Jdid un palais, des mosquées et à Fès al-Bali ils fonderont de belles medersas. Après la chute de Grenade en 1492, Fès devient la principale héritière de la civilisation hispano-maghrébine et la grande métropole d’art de l’Occident musulman.

Le dernier quart du XIIIe siècle jusqu’à la fin du règne d’Abou al-Hassan est la plus belle époque de l’art mérinide où s’affirme la quête architecturale d’un équilibre harmonieux. La ville de Tétouan est fondée par ce même sultan au début du XIVe siècle. Elle sera détruite en 1339 par le roi de Castille Henri III et reconstruite au XVIe par des réfugiés andalous. Abou Yacoub construit devant Tlemcen la ville de siège Mansoura. Avec Abou Said débute le grand mouvement de construction des medersas. L’apogée de la dynastie, sous Abou al-Hassan, voit s’élever de nombreux monuments dans les grandes villes du Maroc et à Tlemcen de riches sanctuaires et medersas sont fondés. Avec Abou Inane, le plan de l’édifice atteint un équilibre parfait même si le décor, vivant sur les formules du passé, ne se renouvelle déjà plus. Sous son règne sont construites de nombreuses mosquées et medersas dont la Bou Inaniya qui, à l’imitation des medersas orientales, est en même temps mosquée-cathédrale avec une salle de prières de moyenne dimension, un grand minaret et un beau minbar. Dans la ville de Salé, qui atteint son apogée au XIVe siècle, sont construites la grande mosquée Jamiâ al-Marini, la medersa d’Abou al-Hassan, la zaouia al-Nossaq et la belle porte Bab al-Mrissa. A Meknès, la dynastie mérinide fonde la medersa al-Qadi et édifie la qasba. A Taferstat, dans la région de Meknès, la zaouia est construite.

L’architecture religieuse mérinide se distingue de celle des Almohades. Les mosquées-cathédrales n’atteignent plus de vastes proportions étant généralement plus profondes que larges et sont maintenant de taille moyenne. La porte principale, dans l’axe de l’édifice, est souvent décorée et de grande dimension, en particulier dans les monuments de Tlemcen. Le minaret, bâti de brique et décoré d’entrelacs de mailles appareillés en brique, le plus souvent sur fond de mosaïque de faïence, est de grande taille par rapport à l’édifice qu’il domine. Le minaret possède une couronne en forme de large frise de zelliges à étoiles polygonales. Les minarets mérinides, d’une grande élégance de lignes et d’une délicate polychromie, sont une des gloires de l’art mérinide.

L’époque mérinide est celle des medersas, fleurissant partout dans les villes, véritables chefs-d’œuvre de l’architecture à ornementation sculptée et polychrome foisonnante. Le nombre élevé de ces collèges du Moyen-Age dans presque toutes les villes fait du Maroc le pays musulman qui en compte le plus. Différentes de taille, de proportions et de décor, les medersas se composent suivant le même tapis architectural, autour d’un patio à portique plus ou moins vaste, dont le centre est occupé par une vasque ou un bassin. Des chambres sont disposées au rez-de-chaussée et à l’étage; sur un des petits côtés s’ouvre une salle de prières.

C’est dans les medersas que toutes les nuances de l’ornementation monumentale mérinide s’épanouissent pleinement. En effet, le patio, les galeries et parfois les couloirs sont luxueusement décorés de zelliges surmontés de sculptures sur plâtre et de bois sculptés et peints. Le sens des lignes et des volumes caractéristiques de l’architecture almohade est à présent relégué au second plan derrière le goût de l’abondance ornementale. Œuvres d’une rare perfection décorative, les medersas n’avaient cependant pas l’exclusivité d’une riche ornementation puisque cette dernière fut également employée dans la décoration de palais, sanctuaires et riches demeures.

D’après le « Roudh el Qirtas » c’est au début du XIVe siècle, sous les Mérinides, que la construction de maisons à décoration foisonnante débute à Fès. Ces demeures, dont quelques rares exemples sont conservés à nos jours, telle Dar Demana à Fès, témoignent de l’art de bâtir de cette époque. Les plus belles des résidences citadines sont ornées de plâtres et de bois sculptés ; le sol et le bas des murs du patio sont couverts de zelliges. Ces maisons reprennent avec plus de simplicité les dispositions décoratives des medersas. Les demeures citadines aux siècles suivants, resteront fidèles à ce parti.

Sous les Mérinides, des projets urbanistiques furent également entrepris, comme la construction de marchés, de fondouks ou hôtelleries, de hammams et de fontaines. Ainsi pendant près d’un siècle, l’art mérinide connaît une remarquable floraison. La tradition architecturale mérinide, après une période de décadence au XVe siècle, survit sous les Saadiens et les Alaouites.

Comme leurs prédécesseurs, les Mérinides ont repris la tradition de mécénat qui a joué un très grand rôle dans l’épanouissement de la civilisation musulmane. La cour mérinide attire un grand nombre d’intellectuels de l’Occident musulman, tels Ibn Khaldoun, Ibn Khatib, Ibn Marzouq et bien d’autres.